Ceci est une lettre d’amour à mes « vieilles » amies et pour toutes les femmes de plus de 50 ans. Ce texte a été écrit avant le début de la pandémie, il prend bien sûr une autre résonance après celle-ci . Oui, je sais : ce sont les hommes qui ont été le plus touchés par le COVID 19, je sais, je sais … Mais ce ne sont pas des hommes que je vois s’effondrer dans mon bureau en se demandant ce qu’elles vont devenir en voyant arriver leur premier cheveu gris. Ce ne sont pas des hommes qui s’interrogent fébrilement sur leur avenir, sur la manière dont ils vont vieillir.
Comment envisager sa vieillesse dans notre société, surtout lorsque nous sommes une femme?
Cette question est assez genrée : peu d’hommes s’interrogent en avance. Pour eux, c’est après qu’ils s’interrogent. Chez eux, c’est plus de l’ordre d’un sentiment de trahison dont il s’agit dans un premier temps. Nous pourrons en parler dans un autre article.
Les femmes, elles, commencent à s’inquiéter tôt, très très tôt de leur vieillissement avec un impact considérable sur leur psychisme et leur sentiment de bien être.
Et pour cause : le futur présenté par les médias est extrêmement rebutant et surtout ne correspond pas à la réalité. Notre rapport à la vieillesse est pour le moins ambivalent comme l’ont démontré certains débats nauséabonds avant et pendant le confinement.
Il faut que ce soit dit: non, 50 ans ce n’est pas vieux.
Non, l’avenir ne s’arrête pas à 60 ans. Dans ma vie, les femmes les plus actives socialement, les plus créatives, les plus vivantes… sont à la retraite. Elles ont 68 ans, 72 ans, 75 ans et 82 ans. Elles vivent, sont actives dans des associations caritatives et culturelles, elles sont dans la rue et militent. Elles sont dans les cafés pour organiser ce qui doit être organisé. Elles sont des vraies locomotives et je suis tellement reconnaissante d’être leurs amies. Et pourtant ! Et pourtant… notre société continue de nous faire croire que JANE FONDA se sent tellement seule qu’elle doit supplier un homme de venir dormir avec elle. Au moment où je regardais ce film ( Nos âmes la nuit pour ne pas le nommer), Jane se faisait fièrement arrêter lors d’une manifestation pour le climat. Clairement, les personnes qui écrivent ces films ne savent rien de la vieillesse et encore moins du vieillissement au féminin.
C’est normal dans une société qui oblige nos actrices à se détruire le visage pour continuer à travailler. C’est normal dans une société où tellement de contes de fées relient vieillesse féminine et méchanceté. C’est normal dans une société qui nous ordonne de rester jeune quoiqu’il en coûte. C’est normal dans une société où la productivité est une des seules caractéristiques humaine valorisée. C’est normal dans une société où le visage des vieilles n’est jamais représenté. C’est normal alors que ces femmes viennent me voir, car nous leur avons fait croire qu’après 40 ans elles n’étaient plus rien.
Et pourtant je vois dans mon bureau des personnes (et essentiellement des femmes) de plus de 70 ans qui font des marathons, m’expliquent ce qu’est le trekking , ou prépare leurs vacances en vélo en râlant que « la Loire c’est quand même trop plat ». Je reçois des «seniors», qui préparent des expositions, sont trésorières pour des associations, travaillent pour apporter des livres, des vêtements, de l’argent aux personnes qui en ont besoin. Elles se disent fatiguées par leur emploi du temps chargé : elles doivent garder les petits enfants, réparer quelque chose chez la voisine, préparer cette manifestation... D’autres sont sereines confiantes, elles savent tout ce qui est à savoir : une encyclopédie joyeuse et bienveillante de la vie.
Ces visages de la vieillesse n’apparaissent presque nulle part. Lorsque les médias nous parlent de la vieillesse, ils évoquent surtout la fin et encore pas très bien (ce sera l’occasion de reparler de la fin de vie ). Ils décrivent un avenir tellement peu joyeux qu’il en devient terrifiant: 70 ans se vivrait forcement en fauteuil, les mains et l’esprit tremblants.
Mesdames, de ce que j’ai vu de la vieillesse 50, 60, 70 ans cela me semble la meilleure partie. Celle de la libération, celle de la révélation, celle de l’expérience. Sans mes amies plus âgées: combien de passages dans ma vie auraient été plus difficiles? Toutes ces femmes puissantes et fortes, chargées de tellement d’années de vie et enfin elles-mêmes. Quel espoir pour moi d’avoir pu les rencontrer. Chaque fois que l’une d’entre elles disparaît, il me semble que la vie ralentit confirmant ce que je savais déjà, même si certain.es. en doute encore : ce sont elles qui font tourner le monde.
Vieillir c’est résister. Résister à la place qui nous est donnée par les médias, par notre société et par nous même. Oui, nous resterons importantes et fondamentales dans la société, cheveux blancs ou non. Vieille ne doit pas être une insulte, mais une médaille à porter avec fierté.
Merci mesdames, de m’avoir apporter cette certitude-là.
Photo: Yulia Golodriga
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